Pourquoi y a-t-il autant de coachs (2ème partie)

Rapport de force ou soutien

Cet opus s’intègre dans une réflexion plus large initiée la semaine dernière où je posais l’hypothèse que la société « produisait » des coachs dans l’objectif de répondre à des problématiques émergentes ou plus aigues. La sociologie nous amène à considérer que nous sommes dans une société qui façonne des invididus qui eux-mêmes façonnent la société. Si le coach est un produit de la société, à quelle fonction répond-il ? Si le coach est producteur, à quelle société contribue-t-il ? Dans un dernier article, la dimension systémique sera intégrée en nous questionnant sur le type de rétroaction qu’exerce le coaching sur la société : est-ce qu’elle renforce le système ou l’aide à évoluer. En attendant, nous parcourons quelques traits présents dans la société et essayons de les lier avec ce qui fait le métier de coach et le service coaching.

Dans le 1er article, j’abordai le thème de l‘ »extimité » développée par Serge Tisseron. Dans ce deuxième article, je souhaite mettre l’accent sur le rôle des corps intermédiaires. Pour ce faire, je partirai d’une note rédigée par Blanche Leridon de l’Institut Montaigne en avril 2023 consultable sur leur site. Cette note servira de jalons théoriques pour la première partie à partir desquels je ferai les liens avec le coaching dans un deuxième temps.

1) Les corps intermédiaires remis dans leur contexte

  • La notion de « corps intermédiaires » est peu définie. Elle « recouvre des organisations de natures différentes qui vont des syndicats et des fédérations professionnelles aux associations en passant par des institutions qui les regroupent comme le Conseil économique, social et environnemental. »*
  • Un mouvement de bascule entre une polarité corporatiste et une polarité sans intermédiation

    • Il n’y a « plus de corporation dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation » (extrait de la loi le Chapelier juin 1791).
    • Un vent de révolution vient remettre en question les classes et les corps pour remplacer l’arbitraire et les intérêts de castes par une représentation directe du peuple : le corporatisme apparaît comme antidémocratique qu’il soit appliqué aux associations et syndicats d’une part ou au corps étatique avec les corps préfectoraux et diplomatiques particulièrement.
    • Le 19ème siècle est une période de rétablissement de ces corps, s’éloignant d’un idéal révolutionnaire remis en question, reconnaissant l’utilité sociale et politique des corps intermédiaires et y voyant des espaces de liberté et d’indépendance. Loi Waldeck-Rousseau en 1884 autorise la création des syndicats illustre cette bascule ainsi que la loi 1901 sur la création d’associations.

    L’émergence de mouvement collectifs : partis politiques, syndicalisme avec une concrétisation dans les actions menées, les acquis sociaux obtenus, les luttes contre l’occupation, la mise en place d’un Etat providence…

    Un phénomène contemporain

    • Effondrement des 2 grands modèles communautaires : Catholicisme et communisme qui amène à un morcellement des initiatives en unités plus réduites et locales et contextuelles
    • Diminution du militantisme, distanciation des partis politiques et populisme contribuant à critiquer l’intermédiation
    • La concurrence de l’intermédiation par les médias et outils technologiques. Alors que les corps intermédiaires tempèrent et modèrent, les réseaux sociaux accélèrent et exacerbent sans que les objectifs initiaux de modération ne soient réellement effectifs. Les mouvements issus des réseaux sont plus spontanés, mobiles, visibles mais n’ont pas la structuration nécessaire pour une mobilisation pérenne.
    • Une crise depuis les années 80s qui se résorbent sans amener à un déclin annoncé. Les modalités de représentations se transforment et les syndicats et les partis politiques restent des références. D’autres formes émergent, y compris au sein d’instance qui sont nées en opposition (système de plateformes développent de nouvelles médiations après avoir contournés les protections corporatistes)
    • Les Partis politiques en mutation qui ne font plus émerger un leader qui défendra les idées mais deviennent des moyens initiés par un leader de le faire gagner les élections.

    Les corps intermédiaires prennent des formes aussi variés que les préfets, les syndicats, les partis politiques, les associations d’usager, les communautés religieuses qui sont toutes traversées par ces mouvement de balancier. Le rapport de la société française à ses corps intermédiaires connaît donc des allers/retours autour d’un axe de la représentatitivité et proximité avec le pouvoir d’une part et d’un autre axe autour du rapport à l’autre comme moyen et fin du mieux vivre ensemble.

    2) Le coaching comme espace d'oscillation et de dialogue

    Comment le coaching pourrait être une réponse à cette oscillation ? Tout système visant à son homéostasie, il est possible de croire qu’il ne joue pas le rôle d’une réponse définitive qui vienne figer le mouvement mais un phénomène qui fasse contrepoids à un déséquilibre qui se produit.

    Qu’est-ce qu’apporte le coaching en ce sens ?

    Un espace / temps de dialogue et de médiation

    Médiation entre la personne et son sujet de travail en premier lieu mais aussi médiation dans chaque interstice de la relation. Vincent Lenardht décrit dans les Responsables porteurs de sens, un schéma illustrant les 8 zones d’interventions du coach. Dans chaque interstice, le coach va pouvoir venir questionner et remettre de l’altérité entre la personne et ce qu’elle vit, sa situation, son contexte, sa manière de le percevoir.

     
    8 Zones d'intervention de Vincent Lenhardt

    Cette médiation s’opère aussi entre la personne et son organisation pour réinterroger le lien qui les unit et trouver l’équilibre entre les différentes composantes individuelles et collectives. Le coaching offre des espaces de dialogue renouvelé en questionnant ce qui est entremêlé ou très distandu. L’activité de médiation, quant à elle, intervient dans un climat où le dialogue a été rompu et où l’état de la relation ne permet plus directement une lecture sereine de ces interstices.

    Qui dit dialogue dit aussi en premier lieu écoute. Avant d’être des lieux de représentativité, les corps intermédiaires représentent des lieux d’écoute qui se font de plus en rare. Nous avons des messages à faire passer et tellement peu de disponibilité à écouter ceux des autres. Le coaching offre ce temps d’écoute profonde avant d’être un temps de dialogue.

    Un espace / temps de partage des représentations

    Le coaching offre également un espace pour se décoller de ses propres représentations et être en capacité à les partager. Reconnaître qu’il peut y avoir une différence entre « Mon manager ne fait pas ce qu’il faut » et « Mon manager fait quelque chose qui me déplaît » amène à identifier ce qui me plaît, ce dont j’ai besoin et des solutions que j’envisage pour y parvenir. Mettre dans la pièce, ne serait-ce que symboliquement, le manager pour lui laisser la possibilité de manifester un autre point de vue est bien de l’ordre de ce que peut apporter le coaching. Cela est encore plus manifeste dans les coaching d’équipes où les personnes vont pouvoir expliciter les perceptions qu’elles ont les unes des autres qui favorise ou limite la capacité à faire un collectif performant

    Un espace / temps de lecture du pouvoir

    Le coaching est aussi une lecture des enjeux de pouvoir, que l’on accompagne un dirigeant, un COMEX, un manager ou un salarié sans responsabilité organisationnelle forte, le rapport au pouvoir et à la capacité à se faire entendre, à impacter l’organisation est présente dans les questionnements. Arnold Mindell développe le concept de Rang qu’il qualifie comme la « capacité ou pouvoir, conscient ou inconscient, social ou personnel, qui découle de la culture, du soutien de la communauté, de sa capacité psychologique personnelle et de son pouvoir spirituel. Le rang que vous avez, qu’il soit mérité ou non, organise l’essentiel de votre communication »***

    Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’accompagner des personnes en transition professionnelle qui avaient un engagement syndical. La dimension de proximité avec la direction, l’envie de participer et contribuer à un objectif commun, de représenter et rencontrer la personne sur le terrain sont des composantes qui, si elles ne sont pas prises en compte, amèneront sans doute la personne à refaire la même démarche dans quelques années.

    Pourquoi cela passe-t-il par des coachs ?

    Si les corps intermédiaires sont fragilisés, quelles instances peuvent permettre d’offrir ces espaces de dialogue, de partage de questionnement en collectif ? Les ethnies et communautés premières avaient un sorcier, un druide, un mage… avec une fonction sociale identifiée permettant d’assurer une médiation et d’incarner une altérité et un espace de sens et de sacré qui nous dépasse. Dans une société poursuivant sa laïcisation, la question du sens n’en est pas moins cruciale. Les thérapeutes sont les confidents de questionnement qui souvent étaient abordés en confession auparavant, les conseillers spirituels font place à des coachs existentiels. Les solutions évoluent, les besoins demeurent.

    Comment reprendre pied quand la marche semble trop haute ? Sur quelle instance, les personnes peuvent-elles s’appuyer pour dans un temps accéléré, reprendre son souffle, clarifier des possibles et de l’altérité, identifier les leviers d’action en adéquation avec ses valeurs ?

    Parce qu’ils ont eux-mêmes traversés ces tiraillements, parce qu’ils en ont développé une sensibilité qui les rend un peu plus à même d’accompagner les autres sur ces sujets, les coachs incarnent des figures d’espoir. Avec un coach, les personnes peuvent se projeter et elles peuvent vivre le balancement de leurs hésitations, entre doutes et espoirs avec l’assurance d’être réellement écoutées.

    Dans une société qui voit ses corps intermédiaires fragilisé, apparaît de facto un rapport de force modifié qui profite aux courants dominants et qui semble mettre de côté la deuxième partie de la maxime « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». En maintenant un rythme accéléré pour répondre aux enjeux et mettant de côté l’enjeu de la personne et de la relation, la société tend vers un pôle qui amène à l’émergence de son contrebalancier. Chaque institution représente à la fois la déclinaison de cette dynamique et son contrepoids. Le coaching de son côté semble être un contrepoids de plus en plus mobilisé pour prendre en compte une sensibilité individuelle accrue. C’est ce dernier axe que nous regarderons dans la troisième partie.

     

    * Vie Publique, https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/24103-quoi-servent-les-corps-intermediaires

    ** Vincent Lenhard, Les responsables porteurs de sens, 5ème édition, Eyrolles 2015

    *** Arnold Mindell, s’asseoir au coeur du feu, traduction M. Brasher, Interéditions, 2022 p. 30